Juridique Loi

Une bataille juridique s’installe autour des déserts médicaux

 L’accès aux soins de santé est un enjeu majeur et une préoccupation constante en France. En effet, il est à noter une augmentation rapide des besoins de santé, due notamment à la croissance démographique, au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques. L’offre de soins, en particulier en ville, reste insuffisante et surtout, inégalement répartie sur le territoire.

Cette situation crée ce que l’on nomme couramment les « déserts médicaux », des zones dans lesquelles l’accès aux professionnels de santé est particulièrement difficile, avec des inégalités territoriales qui ne cessent de s’aggraver.

Face à ce constat alarmant, différentes initiatives législatives et gouvernementales cherchent à apporter des solutions. Tout d’abord, avec une proposition de loi visant à installer une régulation dans l’installation des médecins, mesure fortement controversée. Ce projet de loi a été validé par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale et suit la procédure habituelle (voir notre article).

Une seconde proposition de loi est actuellement étudiée et vise à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, examinée récemment et soutenue par la commission des affaires sociales du Sénat. Ce texte s’articule autour de trois axes principaux :

  • La territorialisation du pilotage de la politique d’accès aux soins ;
  • Le renforcement de l’offre disponible dans les territoires sous-dotés ;
  • La libération du temps médical.

Les mesures du projet de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires

 

Territorialiser le pilotage : donner plus de poids aux acteurs locaux

La proposition de loi propose de renforcer le rôle du département, reconnu explicitement depuis 2022 comme ayant compétence pour « promouvoir […] l’accès aux soins de proximité sur le territoire départemental ». L’article 1er de la proposition donne corps à cette compétence en attribuant au département un rôle de coordination des politiques d’accès aux soins sur son territoire, en lien avec les ARS et les caisses d’assurance maladie.

Un changement majeur réside dans la création d’offices départementaux (remplaçant les comités régionaux de l’Observatoire national de la démographie des professionnels de santé – ONDPS). Ces offices, présidés par le président du conseil départemental, auront pour mission clé d’identifier les besoins en professionnels de santé dans leur département et les territoires de santé concernés. C’est un passage d’une logique descendante (ARS) à une logique ascendante (issue des territoires) pour définir les besoins.

Le rôle de ces offices est renforcé : ils devront donner un avis conforme (que l’ARS devra suivre) sur le découpage des zones considérées comme manquant de professionnels (« sous-denses ») ou en ayant trop (« sur-denses »), un zonage revu annuellement. La consultation des acteurs locaux, y compris les unions régionales de professionnels de santé (URPS) et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), est prévue.

 

Renforcer l’offre dans les territoires en tension : inciter l’installation là où les besoins sont criants

La proposition soumet l’installation des médecins en zone « sur-dense » à une autorisation préalable de l’ARS. Pour les généralistes, cette autorisation serait conditionnée à un engagement d’exercer une partie de leur temps en zone « sous-dense ». Des mécanismes similaires existent déjà pour d’autres professions (infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes) et ont montré une certaine efficacité pour stabiliser les effectifs dans les zones régulées. La loi cherche ainsi à concilier la liberté d’installation avec la nécessité de réduire les inégalités en demandant à ceux qui s’installent dans les zones les mieux dotées de contribuer à l’accès aux soins ailleurs.

Pour inciter à l’installation dans les zones « sous-denses », la loi invite à définir des tarifs spécifiques plus favorables pour les consultations dans ces zones. Ils seraient pris en charge par l’assurance maladie et les complémentaires, sans augmenter le reste à charge du patient.

L’ouverture de cabinets secondaires dans les zones qui en ont besoin est simplifiée. Les remplacements de médecins, dentistes ou sages-femmes effectuant des missions dans les zones sous-dotées sont facilités. Le Sénat a étendu l’encadrement des installations aux médecins salariés en centre de santé et précisé le zonage par spécialité. Il a aussi ajouté un agrément préalable pour tous les centres de santé.

Le projet aborde également la situation des praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue). Il vise à simplifier leur procédure d’autorisation d’exercer et à fixer des objectifs pour les examens (EVC). Dans la continuité de la loi Valletoux du 27 décembre 2023, il est proposé d’orienter prioritairement les Padhue vers les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante. Le Sénat a soutenu la création d’un examen spécifique pour les Padhue ayant exercé en France et restauré une procédure dérogatoire pour les réfugiés/apatrides. Il a aussi autorisé leur affectation en ville auprès de maîtres de stage.

 

Libérer du temps médical : mieux utiliser l’expertise des médecins

Le projet cherche à accélérer le déploiement de la pratique avancée pour les infirmiers (IPA), dont le modèle économique actuel est jugé inadapté. Il propose de réviser ce modèle pour mieux valoriser leurs activités (orientation, prévention, dépistage) et sortir ces professionnels, malgré leur formation renforcée, d’une situation précaire.

Enfin, une mesure simple est de réduire les certificats médicaux inutiles ou dispensables, qui occuperaient un temps non négligeable des médecins (estimé à 6 à 8 consultations par semaine).

Pour les licences sportives adultes, un questionnaire de santé pourrait suffire. Pour le congé pour enfant malade dans le privé, une attestation sur l’honneur remplacerait le certificat médical. Le Sénat a également permis l’extension par décret des actes réalisables par d’autres professionnels comme les audioprothésistes ou préparateurs en pharmacie.

 

 

Un paysage législatif et réglementaire en évolution

Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte dans lequel plusieurs fronts sont ouverts pour combattre les déserts médicaux. Les deux projets de loi font l’objet d’une procédure accélérée.

Le CNER continuera de se tenir informé.

 

Proposition de loi « Améliorer l’accès aux soins »

 

Proposition de loi « Lutte contre les déserts médicaux, d’initiative partisane »