Les politiques publiques en faveur de l’industrie
La Cour des comptes a réalisé un bilan de dix ans de politiques publiques en faveur de l’industrie. Elle a procédé à un état des lieux des forces et des faiblesses de l’industrie française et formule huit recommandations.

L’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes de réaliser un bilan de dix années de politiques publiques en faveur de l’industrie. Au sommaire :
- Un état des lieux des forces et faiblesses de l’industrie française ;
- Les objectifs et les moyens mobilisés de 2012 à 2022 pour les politiques transversales et les résultats obtenus ;
- Huit recommandations.
Etat des lieux
La part de l’industrie manufacturière reste stable à 11 % de la valeur ajoutée totale de l’économie, bien en dessous de celle de l’Allemagne (21 %) et de l’Italie (17,5 %). La part de l’emploi industriel, qui se stabilise en 2023 autour de 10 % de l’emploi total, reste cependant nettement plus faible que chez nos voisins (17 % en Italie et 18 % en Allemagne).
Il est avéré que 75 % de l’emploi industriel est situé hors des métropoles, ce qui fait de l’activité industrielle un levier important de cohésion sociale et territoriale.
Le mouvement de désindustrialisation résulte de l’effet conjugué des gains de productivité de l’industrie (qui conduit à une baisse des prix relatifs des produits industriels), du développement des services, de l’accroissement de la sous-traitance (mouvement d’externalisation) et de la fragmentation des chaînes de valeur.
Avec une croissance de 20 % de la valeur ajoutée industrielle de 2000 à 2019, la France est le troisième pays industriel de l’UE, derrière l’Allemagne (61%) et l’Italie (28%). La diminution régulière des parts de marché de l’industrie française dans les exportations européennes et la dégradation du solde commercial avec les pays de l’UE sur la période 2012-2022 attestent également d’une dynamique industrielle inférieure aux autres pays européens, en particulier pour l’industrie manufacturière.
Quels sont les efforts effectués ?
À partir de 2014, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et les allègements de charges ont eu pour effet de rapprocher l’évolution du coût du travail de celle de la productivité. Le coût horaire du travail demeure néanmoins supérieur à celui de l’Italie, de l’Espagne et des pays d’Europe de l’Est. Il est équivalent à celui de l’Allemagne dont l’industrie peut s’appuyer sur un positionnement de gamme structurellement supérieur.
À partir de 2017, des mesures ont été prises pour rééquilibrer la fiscalité des entreprises. Cependant, l’existence d’impôts de production dont les modalités de calcul sont défavorables à la production en France pèse sur la fiscalité des entreprises industrielles.
Le coût de l’énergie a représenté un sérieux avantage pour l’industrie française, avec un prix de l’électricité inférieur de 40 % à la moyenne de l’UE.
Quels sont les freins ?
Premier frein mis en avant dans le rapport de la Cour des comptes, l’innovation industrielle pour laquelle les indicateurs placent la France en retrait par rapport à l’Italie et à l’Allemagne.
Le rapport indique également que l’image de l’industrie reste dégradée, ce qui nuit à l’attractivité des formations et des métiers industriels. 52 % des entreprises dans l’industrie étaient concernées par des difficultés de recrutement au 1er trimestre 2024.
L’amélioration de l’attractivité de la France, mesurée par le nombre de projets, reste fragile. L’environnement des entreprises peut encore être simplifié pour faciliter leur développement.
Les politiques publiques pour l’industrie
La Cour a mesuré les soutiens publics à l’industrie de 2012 à 2022 à partir des transferts financiers directs ou indirects aux entreprises industrielles sous forme de prises de participation, de subventions, de prêts et d’avances remboursables. Leur montant s’élève à 17 Md€ par an de 2012 à 2019 et à 26,8 Md€ par an sur la période 2020-2022, hors interventions en fonds propres.
Les politiques de soutien à la R&D, à l’emploi et à la formation, à l’énergie, au commerce extérieur et à l’innovation, représentent 86 % du coût budgétaire total, tous types de dépenses confondus. Le crédit d’impôt recherche constitue pour les entreprises et de nombreux observateurs, un facteur important d’attractivité pour le maintien des activités de R&D en France. Afin d’en améliorer l’efficacité, la Cour des comptes recommande d’ajuster l’assiette des dépenses éligibles au CIR pour en améliorer l’efficacité et d’expertiser une mesure de plafonnement de la créance du CIR au niveau des groupes.
À ce sujet, une tribune a été diffusée en novembre 2024 par l’écosystème de l’innovation pour dénoncer les risques d’une potentielle réduction du CIR (cliquez ici pour la découvrir).
« Face à une concurrence internationale féroce, affaiblir ce dispositif risquerait d’aggraver le retard de la France en matière d’innovation, compromettant ainsi sa réindustrialisation et son autonomie stratégique ».
Depuis 2020, les pouvoirs publics ont complété les instruments des politiques horizontales par un instrument de soutien « vertical », notamment sous forme de subventions, dans le cadre de France 2030. Les premières évaluations montrent que le ciblage des investissements publics devrait être resserré et que la doctrine d’intervention devrait s’attacher à privilégier davantage les instruments les plus efficaces en limitant le recours aux subventions.
Les recommandations de la Cour des comptes
Mesures relatives à la compétitivité des entreprises industrielles
- Revoir les modalités de calcul des impôts de production défavorables à l’industrie à condition d’en garantir la neutralité pour les finances publiques (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie) ;
- Définir en 2025 un dispositif durable de soutien au développement des compétences des salariés de l’industrie (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie, ministère du Travail et de l’emploi).
Mesures relatives à l’efficacité des soutiens publics
- Définir en 2025 les modalités de consolidation dans les comptes de l’État des participations directes et indirectes de l’État en identifiant les entreprises industrielles afin de suivre l’intégralité des risques associés (ministère du Budget et des comptes publics) ;
- Dans un souci de cohérence des investissements publics, préciser en 2025 la doctrine de prises de participations de l’État dans les secteurs industriels en l’articulant avec celles de la Caisse des dépôts et consignations, Bpifrance et Ademe Investissement (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie) ;
- Pour améliorer l’efficacité de la dépense, ajuster l’assiette des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche (CIR) et expertiser les modalités d’un plafonnement de la créance du CIR (ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie) ;
- Engager une revue des priorités de France 2030 et arrêter ou réorienter dès 2025 les financements de certains projets suivant les recommandations du Comité de surveillance (secrétariat général pour l’investissement) ;
- Privilégier les instruments financiers et les avances remboursables pour les soutiens financiers publics aux projets d’industrialisation et limiter le recours aux subventions (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie, secrétariat général pour l’investissement).
Mesures relatives à la conception et à la mise en œuvre des stratégies industrielles
- Prioriser dans la stratégie industrielle les projets soutenus à l’échelle européenne (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie) ;
- Élaborer, d’ici 2026, un ensemble d’indicateurs macro et micro-économiques permettant de mesurer les impacts de la stratégie industrielle en tenant compte de la disparité de l’industrie et des enjeux de comparaison internationale (ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie, Insee).
L’industrie, exempté du ZAN pendant cinq ans ?
Inscrit dans la loi Climat de 2021, le plan « zéro artificialisation nette » est également un frein au déploiement d’usines et d’industries. Lors d’une visite à Limoges, Michel Barnier, premier ministre, a annoncé vouloir que l’industrie française soit exemptée du ZAN pendant cinq années. L’industrie ne serait donc plus soumise à ces règles pendant cette période, avec évaluation à la clé. Le CNER suivra ce sujet avec intérêt.